En avril, une exposition et une rencontre exceptionnelle.

En avril, une exposition et une rencontre exceptionnelle.

Tout a commencé au Studio, rue du Général Sarrail. J'ai traversé le Cameroun pour arriver en France, et, assise dans les fauteuils douillets du cinéma havrais, j'ai suivi Claire et Olivier de Kaboul à Paris.

Ce soir-là, pas de film à l'écran mais des photos commentées par Olivier Jobard. Ce photojournaliste célèbre pour ses prises de risque et son engagement sur le terrain, se détache peu à peu de l’objectif et se distance de l'évènement pour s’attacher aux personnes qui le vivent.

Invité par l’association havraise « Deux Tiers », dirigée par des professionnels de l’image et défenseurs avertis du photojournalisme, Olivier jobard sera de retour au Havre le 13 avril prochain.

La photo en trois dimensions

Comme chaque année « Deux Tiers » présente le travail d'un photojournaliste parvenu à traverser le voile de l’observation, au risque de se perdre dans la relation à l’autre. Au Studio, ce soir-là, nous accédons au hors champs d’un parcours dangereux. Olivier Jobard ouvre la séance avec les images de l’exposition « Kingsley. Carnet de route d’un immigrant clandestin », à voir à la bibliothèque universitaire du Havre jusqu'au 24 avril.

Il est question ici de détermination ‒ celle d’Olivier, tout d'abord, qui décide un jour de partir à la rencontre de tous ces anonymes qu'il a si longtemps photographié lors de ses reportages de guerre.

Bien que son aspiration se confronte au discours et à la justification d’un travail qui se doit de trouver des financements et des supports de publication, Olivier sait parfaitement ce qu'il est. « Je me définis comme photographe. J’ai envie de raconter des histoires, d’incarner le phénomène migratoire à travers des personnes.

J’ai surtout cette envie de sortir des reportages sur la guerre et les migrations dans lesquels on ne sait plus qui est qui. C'est juste des masses sans noms, des courbes chiffrées sans rien savoir des gens qu'il y a derrière. Leur rendre leur humanité et toucher des lecteurs de journaux comme Paris Match ou le Figaro Magazine, c’est ça qui m’intéresse. »

Dans l’ambiance chaude et feutrée du cinéma, Claire Billet est à ses côtés. Elle et Olivier ont suivi ensemble la route des migrations orientales.

Leur aventure, dont nous voyons défiler les images, est peut-être plus actuelle que celle de l’Afrique où Olivier était seul avec Kingsley, ce jeune Camerounais qui vit et travaille en France depuis dix ans maintenant.

Mais rien n’est plus contemporain que ces rencontres de femmes et d’hommes déterminés ‒ aventuriers modernes défiant la réalité structurelle de l’administration des territoires, rappelant que de tous temps l’homme a conquit sa liberté en traversant les barrières que d’autres s’évertuaient à élever.

Retour sur images

Olivier Jobard raconte donc encore son parcours avec Kingsley :

six mois pour traverser l’Afrique subsaharienne, embarquer sur un esquif de fortune et affronter l'Atlantique afin d'entrer clandestinement aux Canaries ‒ territoire européen ‒, obtenir un laissez-passer après un mois de détention et, finalement, arriver en France.

Kingsley n’était pas prisonnier de chez lui, non. Il travaillait comme maître nageur dans un hôtel, avait de l’argent pour partir et un ami en France pour l’accueillir.

« Il avait envie d’ailleurs, envie d’évoluer, de changer, tout simplement, précise Olivier. Autant d’éléments, de signaux qui me permettaient de penser qu’il avait l’ambition d’aller jusqu’au bout, des chances de réussir, et que je n’étais pas le déclencheur de son départ. »

Pour nos reporters, le départ, c’est l’arrivée sur place, la quête des candidats.

« Beaucoup ne savent pas dans quoi ils s’engagent, à quoi ils seront confrontés. Kingsley, lui, avait déjà fait une tentative. »

Au carrefour de l’Asie

En Afghanistan, c’est pareil, ils peuvent trouver des milliers de jeunes qui veulent partir. Claire Billet, journaliste et réalisatrice, a vécu longtemps en Afghanistan.

Elle cherche des passeurs pour suivre cette route dont le tarif se négocie comme dans une agence de voyage.

Claire et Olivier sont parvenus à réaliser un reportage sur une traversée de huit mois. Pour cela, il leur fallait, avant le départ, prendre le temps de trouver les bonnes personnes, accepter la rencontre, la relation de confiance. Oui, accepter de se livrer pour recevoir en retour.

C’est à Jalalabad, dans un restaurant en bord de rivière, que Claire rencontre enfin quelqu’un qui l’entraîne sur la bonne piste. Il parle français., c'est un migrant passé par Calais qui leur fera rencontrer le bon passeur.

Ce dernier les prend dans son groupe de migrants. « Il était fier de nous ouvrir les portes de son business, se rappelle-t-elle. Il fait partie d’une fratrie qui s’occupe du parcours jusqu’en Europe en sous-traitant, sur le chemin, à des passeurs locaux, des familles aux frontières, des loueurs de maisons, des conducteurs. »

Le choix du risque

Les passages aux frontières sont dangereux et les risques de se faire tirer dessus sont réels. De plus, il arrive souvent que la frontière entre l’Afghanistan et l’Iran soit fermée. Comme c’était le cas, ils sont obligés de descendre au Pakistan pour passer au sud et remonter tout l’Iran. La route se fait souvent à pied. L’exercice est parfois douloureux.

Au sein du groupe, seuls les passeurs et les migrants du départ connaissent la véritable identité de nos journalistes. Cheveux teints en noir pour Olivier, voile pour Claire, leur accent et dialecte doit s’expliquer de manière compliquée.

Ils racontent une histoire abracadabrante mais elle fonctionne ‒ on compte autant d’histoires folles que d'hommes qui circulent sur ces routes de migration.

Au Balouchistan, région sud du Parkistan, les risques de se faire repérer comme journalistes européens sont trop grands.

Tous décident que Claire et Olivier doivent prendre l'avion à Karachi pour retrouver leurs compagnons en Iran. Ces derniers acceptent de se filmer pendant cette traversée. Ce sera l'occasion d'enrichir la narration d’instants de vérité que la réalité dévoile rarement au cours de ce parcours clandestin.

La fin du périple oriental

L’arrivée en Turquie sonne le choc des cultures. De la Grèce à l’Italie et jusqu’à Paris, le contact avec les Européens étourdit les Afghans.

Qui, parmi nous, quidams ou passants, peut s’imaginer qu’ils viennent de faire 12000 kilomètres au péril de leur vie ?

C’est au terme du voyage que la désillusion commence.

Les rues sont vides de portes ouvertes. Car il n’y a pas de traditionnelles chambres réservées aux étrangers dans les maisons françaises. De ce côté-ci du rêve, la réalité est brute, encore. Et, je perçois l’abyssale profondeur de nos mémoires.

L’association Deux tiers propose au public plusieurs axes de décryptage d'un journalisme qui plonge dans le cours de la vie.

La rencontre au cinéma « Le Studio » était une façon de percer les secrets de fabrication d’un engagement à long terme qui foule le terrain mouvant d’un métier à risque.

« Ce travail documentaire nécessite qu’on s’implique et qu’on apprenne à connaître les gens, explique Claire Billet.

Le plus difficile est de garder une distance pour ne pas être trop pris dans l’évènement, tout en restant engagé. La relation de proximité que nous entretenons avec les personnes dont nous racontons l’histoire fait toute la force de ce témoignage. Mais nous devons éviter d’être trop présents. Honnêtement, je n’ai jamais fait quelque chose d’aussi difficile que de travailler avec des migrants. »

La réalité en exposition

Le travail d’Olivier Jobard avec Kingsley est exposé à la bibliothèque universitaire. Tout le périple y est accroché : Cameroun, Nigeria, Agadès au Niger ‒ la porte du désert… les passeurs touaregs, la traversée du Sahara.

Olivier n’a pas cessé de photographier tandis que Kingsley prenait des notes dans son carnet de voyage. Et la valeur de ce double témoignage a permis de publier un livre.

Les arrestations, expulsions, rackets, font évidemment partie du récit mais, en réalité, ils ont risqué leur vie chaque jour durant et pendant des mois pour atteindre le Maroc, prendre une embarcation de fortune et passer Fuerteventura. Après avoir essuyé un premier naufrage, ils reprendront l’océan pour parvenir à fouler le sol européen. Aucun des deux n’a pensé abandonner.

L’histoire en personne

Après les expositions, les publications, les conférences, un travail et des papiers en règle, Kingsley a préféré laisser son étiquette d’ex-migrant au vestiaire et vivre sa vie. Pourtant, il accepte de venir nous retrouver au Havre le 13 avril prochain pour croiser les regards d’une réalité transposée de multiples façons.

Rencontre avec Kingsley Abang Kum et Olivier Jobard le 13 avril 2015 à 18h30 ‒ UFR lettres et sciences humaines Amphi 6. Université du Havre, 25 rue Philippe Lebon. Tél : 02 35 19 10 09

Exposition « Kingsley, carnet de route d’un immigrant clandestin » jusqu’au 24 avril 2015 ‒ Bibliothèque universitaire, 25, rue Philippe Lebon. Tél : 02 32 74 44 14

Exposition « Ester et Armando » ‒ Créapolis, 79 avenue René Coty. Tél : 02 35 22 87 50